C'est au XIII ème siècle qu'apparaissent pour répondre à des besoins nouveaux, des ordres avec de nouvelles structures, les ordres mendiants : franciscains, dominicains, carmes. Les anciens ne disparaissent pas pour autant. Ce XIII ème siècle voit fleurir à la fois les uns et les autres. Saint Louis est tertiaire franciscain et contribue de ses mains à construire l'abbaye cistercienne de Royaumont.
La principale différence entre les mendiants et les ordres qui les ont précédés, c'est que les mendiants ne sont pas tenus à la « stabilité du lieu ». Alors qu'un bénédictin passe rarement d'une abbaye à une autre, à moins qu'il ne fasse partie du groupe chargé de fonder une abbaye nouvelle, le franciscain ou le dominicain n'appartiennent pas à un couvent particulier. Ils passent facilement d'un couvent à l'autre à l'intérieur d'une même province et changent aussi de province. Bien qu'ils soient tenus de réciter en commun l'office de choeur, ce n'est plus là qu'est le centre de leur vie, mais au-dehors. Ce sont des prêcheurs (tel est, du reste, le titre officiel des dominicains fait pour haranguer le peuple dans sa propre langue et non plus seulement dans celle de l'église). Ils sont parfois des orateurs de carrefours, ils comprennent et appuient les revendications populaires. Aucune solidarité, du moins à l'origine, ne les lie aux puissances établies.
Quant à la pauvreté, qu'impliquerait d'une façon toute particulière leur qualité proclamée de « mendiants », ils ont fait des efforts louables pour s'y tenir, mais la générosité des donateurs n'a pas tardé à être plus forte que les meilleurs intentions. On leur donne des maisons dans les villes pour s'y établir, ils les démolissent et les transforment, dotant la chrétienté de quelques-uns des plus beaux monuments de style gothique. Car si le roman avait été par excellence le style des clunisiens, des moines noirs, avec ses variétés provinciales, son goût du terroir, si un gothique particulièrement austère avait caractérisé les abbayes cisterciennes, c'est un autre gothique, plus jeune et plus hardi, qui est l'apanage des mendiants du moins en France.
Cette recherche d'interpénétration des volumes dont on trouve de rares exemples en Angleterre s'inscrit dans un mouvement plus général qui a touché surtout l'Europe du nord et auquel les architectes des ordres mendiants, ont donné une ampleur caractéristique. Le succès a été tel que ce type d'édifices a rapidement dépassé les frontières monastiques pour être adopté aussi bien pour des cathédrales que pour des paroissiales. Renonçant aux effets intérieurs crées par la succession de volumes qui s'ouvrent largement les uns sur les autres et qui produisent l'illusion d'infini , les architectes mendiants préfèrent des espaces simples, clairement définis et limités par des murs si possible dégagés de support intérieur. Sur ce schéma de boite étendue en longueur, il a été apporté des variantes infinies qui prennent dans certaines régions ou dans certains pays une originalité particulière.
Cette recherche spatiale, prend dans les édifices construits en Allemagne de la première moitié du XIII ème siècle des aspects divers, qui vont de la nef unique, à la « hallenkirche » ou église-halle par le fait que les voûtes du vaisseau central et des collatéraux culminent à la même hauteur, en passant par des solutions intermédiaires comme à Sainte-Elisabeth de Marbourg (Hesse) qui a joué un rôle déterminant dans la définition de ce type d'édifices et qui en est dans ce pays l'exemple le plus majestueux.
A l'origine cette conception d'architecture est dictée comme il est dit par les ordres mendiants confrontés à des problèmes nouveaux, franciscains et dominicains implantés dans des villes en pleine expansion dont le réseau paroissial n'est pas aussi dense qu'en France, sont conscients du rôle qui leur revient. Ils se contentent tout d'abord de salles qui leur permettent de prêcher. Le succès venant, ils se mettent à construire à l'identique une nef rectangulaire aussi large que possible, percée de baies à intervalles réguliers, couverte d'un plafond en bois, cette disposition permettant de supprimer les supports, le but recherché étant de libérer au maximum le volume intérieur. Le couvrement par des voûtes d'ogives interviendra dans la deuxième partie du XIII ème siècle. L'église des dominicains de Constance, dans la première moitié du XIII ème siècle est seulement plafonnée, alors qu'à Esslinger terminée en 1268, le couvrement se fait par des voûtes d'ogives. Les architectes respectent d'une façon générale les règles de simplicité des ordres mendiants, par l'absence de déambulatoire et de chapelles rayonnantes. A l'extérieur la suppression de tour et de transept, renforce la comparaison du monument avec une sorte de boite plus ou moins allongée et le contrebutement réciproque des vaisseaux permet d'une manière générale la disparition des arcs-boutants.
Ce parti de l'église-halle a été respecté fidèlement en Allemagne pendant près de deux siècles, il en a été de même en Autriche et a été adopté par un certain nombre d'édifices de petites dimensions, ce qui les fait paraître plus grand qu'ils ne sont, en même temps que la lumière s'y diffuse sans difficulté.
En Alsace, l'église des dominicains de Colmar (1283-1350) marque une nouvelle étape. Son plan fera école : un long choeur unique de cinq travées, terminé par une abside polygonale, prolongé à l'ouest par une nef rectangulaire qui s'étend en largeur et qui paraît pour l'oeil former un seul volume. Les hautes colonnes n'interviennent guère dans la définition spatiale et le couvrement de charpente contribue à l'unification. L'ambiguïté apparaît évidente et voulue entre église à collatéraux et église-halle. Elle sera même transformée en halle aux blés en 1807. Actuellement l'église sert d'écrin au magnifique tableau réalisé par Martin Schongauer vers 1473 : La Vierge au buisson de roses.
Dans les pays de Flandre une « hallekerque » c'est aussi, tout simplement une église-halle, mais qui présente une architecture particulière souvent rencontrée et que l'on peut résumer ainsi : Trois nefs parallèles, chacune étant indépendante des deux autres, puisque chaque nef possède son propre toit, chaque nef et de taille égale (même largeur, même hauteur) et le tout est séparé par des grandes arcades.
La Flandre française, possède une trentaine de ces hallekerques, en passant par l'église Saint-Martin de Boeschèpe, la collégiale Notre-Dame de Cassel, très bel édifice gothique flamand à trois pignons, trois nefs, et trois absides, la vaste hallekerque Saint-Folquin d'Esquelbecq à trois nefs, montre généreusement en façade les cloches de son petit carillon, Notre-Dame de l'Assomption de Herzeele construite en briques de sable beige, des briques de tous les tons habillent aussi les trois nefs de l'église de Eecke vouée à la Vierge et enfin, Saint-Eloi de Hazebrouck, cette église à trois nefs, typiquement flamande est une des plus anciennes, puisqu'elle fut construite au début du XV ème siècle.
En ce qui concerne la Lorraine, des influences (Alsace Rhénanie Flandre) d'ordre dicté principalement par la simplicité architecturale et certainement de moindre coût se manifeste dans l'adoption d'édifices dont les trois nefs sont d'égale hauteur et dont l'aspect général est celui d'une construction plus large que haute. Ce sont les églises-halles comme Saint-Etienne de Saint-Mihiel, originale avec son plan presque carré et ses trois nefs paraissant d'autant plus vastes qu'elles s'achèvent par un chevet à pans coupés de même largeur, Saint-Etienne de Bar-le-Duc, Saint-Laurent de Pont-à-Mousson, Blénod-les-Toul, Dieulouard et d'autres à Vouxey dans les Vosges, ainsi que l'église de Waville, (dans l'arrondissement de Briey) qui est l'une des plus anciennes, première moitié du XIII ème siècle et enfin, la plus typique qui sans aucun doute entre toutes, en présente beaucoup de caractères pour servir d'exemple.
L'église Saint-Gorgon de Varangéville « bien sûr », comme écrasée au sol, qu'aucune perspective ni approche ne signale. A l'extérieur, seul est remarqué la vaste toiture de tuile à faible pente posée directement sur les murs de moellons simplement crépis que ne termine aucune corniche, un simple larmier de pierre sous la base des fenêtres court tout autour de l'édifice, et de puissants contreforts en pierre appareillée enserrent et épaulent l'ensemble en marquant très nettement la division intérieure des travées. Sur la façade dont subsiste la tour-porche de l'ancienne église prieurale du XII ème siècle, les puissants contreforts qui s'élèvent jusqu'à la basse de la curieuse « petite coiffe » faisant fonction de tour et de clocher, semble être arrêtés là, provisoirement semble t-il comme en attente de quelque chose qui resterait encore à venir. Cliquer pour voir l'image en vraie grandeur Passé le portail, le contraste est saisissant, c'est l'émerveillement dégagé par la pureté de lignes des trois nefs de même hauteur et la gerbe de nervures des voûtes en forme de palmier retombant avec un rythme parfait sur les deux files de colonnes.
L'intérieur est d'une grande simplicité, la sculpture décorative est à peu près absente, elle n'a trouvé à se développer que dans les seules clés de voûte. Encore ne présentent-elles la plupart que des rosaces ou des écussons vierges. La clef principale de l'abside pentagonale, la plus soignée, porte les armes du cardinal Jean de Lorraine aux six quartiers, avec le chapeau de cardinal. Les fenêtres très régulièrement disposées sont étroites, laissant aux murs une place importante et les remplages flamboyants à deux ou trois formes des baies sont d'un dessin classique. Cliquer pour voir l'image en vraie grandeur
Dans le petit livret.- Eglise de Varangéville (Abbé Jacques Choux 4 ème T. 1969), il est relevé : aucun document ne nous a été conservé sur les travaux de cette nouvelle église. On en place ordinairement le début des travaux en 1485, ce qui semble impossible. Les seules indications chronologiques certaines se lisent dans l'édifice lui même, ce sont d'abord les armoiries de Jean de Lorraine prieur de Varangéville de 1508 à 1545 qui se voient à la clef de voûte de l'abside et qui figurait dans le vitrail du fond (détruit pendant la grande guerre), surmontées du chapeau de cardinal, elles ne peuvent pas être antérieures à 1518, année où Jean fut élevé à cette dignité. Un autre vitrail également détruit, était précisément daté 1518, et une belle clef de voûte de la troisième travée de la nef centrale porte la date de 1528. Il paraît donc certain que l'église a été construite du temps de Jean de Lorraine et en grande partie aux frais de ce célèbre mécène.
Varangéville qui a comme particularité d'avoir été jusqu'à la révolution la paroisse mère de Saint-Nicolas-de-Port et même posséda jusqu'en 1863 l'unique cimetière où reposèrent les morts des deux localités, représente avec son église d'une longueur intérieure de 54 mètres, sa largeur de 20 mètres et sa hauteur sous voûtes de 11 mètres, le type parfait de l'église-halle en forme de boite rectangulaire (deux fois plus large que haute) si souvent rencontré en Lorraine, mais rarement aussi bien représenté. Elle reste dans sa simplicité certainement voulue l'exemple même de l'église-halle tel qu'il avait été défini il y a plus de sept siècles par les ordres mendiants.
Bibliographie Erlande-Brandenburg : Le Monde Gothique, La conquête de l'Europe 1987. Abbé Jacques Choux : L'église de Varangéville 1969. |