LES GRANDS SAINTS PESTEUX DE LA BASILIQUE

    
     Comme chaque chrétien recevait un nom de baptême, chaque confrérie, chaque corporation, avait un patron céleste, et elles plaçaient dans les églises, des retables, des fresques, ou des vitraux pour honorer leurs saints.

     Certains bienheureux préservaient les humains de divers fléaux, notamment de la peste, qui apparue Marseille en 1347, s’était étendue à la plus grande partie de l’Europe, la laissant exsangue : Elle fut la plus grande pourvoyeuse des cimetières pendant tout le XVè et XVIè siècle.
En 1418, en pleine guerre de Cent-Ans, elle fait, dit-on, en quatre mois, rien qu’à Paris, 60.000 victimes. En 1427, à Strasbourg la grande cloche de la cathédrale creva à force de sonner le glas. En 1437, à Nuremberg on ensevelit plus de 10.000 morts.

     Dans nos régions, elle avait été plus longue à s’installer, ce qui fait qu’à la fin du XVIè siècle elle sévissait encore fortement en Lorraine et il n’est pas une seule ville qui n’ait été atteinte au moins deux ou trois fois au cours de cette longue période. Ainsi en 1558, 1350 personnes étaient morte de la peste à Saint-Nicolas-de-Port. Cette épidémie avait suscité la générosité d’une riche Portoise, Anne Fériet, veuve d’Antoine Gô, qui, par testament du 4 avril 1597, immédiatement exécuté, créa un hôpital de pestiférés aux Portes de Nancy, à Lasné et par codicille du 11 juin 1603, donna 3000frs pour la construction de loges dans notre ville. En 1627, de nouveau, 500 personnes moururent de la peste et encore 350 en 1631.

     Aussi, parmi tous les saints présents dans les vitraux de notre Basilique, aucun n’a t’il été imploré avec plus de ferveur que ceux qui passaient pour être des protecteurs contre cette terrible maladie. Ils étaient trois : saint Antoine le Grand (baie droite de l’abside), saint Sébastien (absidiole nord), et saint Roch (5è chapelle nord de la nef).

     SAINT ANTOINE LE GRAND.- Né en haute Egypte en 251 : A toujours vécu dans des lieux solitaires, subissant de nombreuses tentations dont la légende s’est emparée avec complaisance et qu’a popularisé aussi le poème en prose de Gustave Flaubert : « Les tentations de Saint Antoine ». Il en sort finalement vainqueur par la prière, et nombreux, sont les autres solitaires qui viennent se mettre sous sa direction. A la recherche d’une vie de solitude, il fonda véritablement le modèle même de la vie monastique.

     La translation de ses reliques en France au XIè siècle, à la suite de la conquête arabe de l’Egypte augmentera sa popularité et l’abbaye de saint Antoine près de Saint-Marcelin (Isère), édifiée pour les recevoir attirera des foules de pèlerins.

     Longtemps, saint Antoine a été invoqué pour la guérison du mal des « ardents » appelé aussi peste rouge, sorte d’épilepsie provoquée par l’ergot du seigle, tandis que la peste bubonique portait le nom de peste nire. Saint Antoine est souvent représenté âgé, agitant une clochette d’aumône et s’appuyant sur un bâton. Souvent c’est le tau grec qui se retrouve dans les effigies de saint Antoine, saint Sébastien et saint Roch, preuve manifeste que ce bâton est devenu une sorte d’amulette spécifique contre la peste..

     Parfois, comme dans le vitrail de l’abside, le saint tient un livre ouvert. Le fameux cochon couché à ses pieds porte un collier à grelot, car les frères hospitaliers de saint Antoine avait obtenu le droit de nourrir gratuitement leurs porcs avec les glands et les faines des forêts. Leurs cochons, portant au cou de petites clochettes avaient aussi le privilège de courir dans les rues pour recevoir leur nourriture des habitants, et les Antonites dans leurs couvents, véritables hôpitaux, soignaient les malades atteints du mal des Ardents  « le feu de saint Antoine », avec un onguent préparé justement avec le suif des porcs.

     SAINT SEBASTIEN LE SOLDAT MARTYRE.- Les détails concernant la vie et l’authentique martyre de ce romain viennent de l’auteur des Actes de Sébastien au Vè siècle, récit légendaire qui relayé par la production d’innombrables œuvres artistiques a assuré une immense popularité à son héros. La Légende a été reprise au XIXè siècle par le célèbre roman de Wiseman, (Fabiola 1854). Selon ces récits, Sébastien naquit en Gaule et s’engagea dans l’armée romaine en 283
 
     Nommé capitaine de la garde de Dioclétien, l’empereur apprend qu’il est chrétien. Il le livre à ses archers quoi le percent de flèches. Sébastien est laissé pour mort. Cependant une chrétienne, Irène, le recueille et le guérit. Il se présente alors devant  l’empereur pour lui reprocher son comportement vis à vis des chrétiens. Dioclétien le fait tuer à coups de bâtons. Son corps sera enseveli au cimetière romain dit Ad Catacumbas, (« près du creux »), sur la voie Appienne . La Basilique Saint Sébastien qui lui est dédiée a été construite à cet endroit.
 
     Saint Sébastien, semble avoir été choisi comme intercesseur de la peste en sa qualité d’archer, peut-être pour son courage face aux flèches et aussi que son invocation mit fin à la peste de 680 à Rome. Il est aussi une autre croyance antique qui assimilait les épidémies de peste à des flèches décochées par la divinité : dans l’iliade Apollon déchaîne le fléau. Dans la Bible, en forçant quelque peu le sens des textes, cela est donné à Yahweh, (le père). Ainsi au Moyen Age, on représentait sur les images de, piété, (les xylographies), Dieu le Père assis sur les nuages, qui avec une arbalète, lançait les flèches de la maladie sur la terre pour la punir de ses excès. Aussi, dans leur candeur naïve, il semblait logique à nos ancêtres d’invoquer le saint archer pour qu’il désarme la colère du Père Eternel.
 
     C’est pourquoi, on voit souvent saint Sébastien lié à une colonne, tandis que ses anciens camarades restés païens le criblent de leurs traits sur l’ordre de l’empereur et, dans certaines représentations, à l’exemple du vitrail de notre Basilique, la main gauche au dessus de la tête, il pointe l’index, semblable à une flèche vers le ciel. Ce geste étant censé apaiser la colère de Dieu.

     SAINT ROCH SERVITEUR DE DIEU.- Dès le début du XVè siècle, c’est à dire peu après sa mort (vers 1378), saint Roch fut vénéré en France, en Italie et mêmes en Allemagne, mais nous n’avons aucune histoire authentique de sa vie. Il n’y a pas de doute sur sa naissance à Montpellier et qu’il soigna les malades atteint de la peste en Italie ; mais c’est presque tout ce qu’on peut affirmer à son sujet. Ses  « vies » ; sont principalement constituées de légendes populaires qui sont peut-être fondées sur des faits, mais qu’il est impossible à vérifier.

     D’après celle qu’a écrite le vénitien, François Diédo en 1478, Roch était le fils d’un riche marchand de Montpellier, orphelin à l’age de 20 ans, il alla en pèlerinage à Rome. Trouvant l’Italie infestée par la peste, il se consacra aux soins des malades. A Plaisance, il fut contaminé et, se traina dans une forêt pour y mourir. Là, il fut secouru par un chien qui lui apportait souvent un pain dérobé à son maître. Celui-ci, intrigué, suivit le chien, découvrit Roch, et s’occupa de lui

     Revenu guéri à Montpellier, il est pour un prétexte futile jeté en prison par son oncle gouverneur de la ville, qui avait sans doute le désir de s’approprier la fortune de son neveu. Il y mourra dans le plus grand dénuement

     La popularité et l’expansion rapide du culte de saint Roch, explique bien sa présence dans le vitrail de la baie de la 5ème chapelle nord de la nef. Il est représenté avec son chien, (le célèbre roquet) à ses pieds, serrant dans sa gueule un pain. Un ange de sa main gauche, soulève le manteau de saint Roch et, de l’autre main, désigne le bubon de peste ainsi dégagé de la cuisse gauche du saint..

     Saint Roch, figure dans le martyrologe romain, et sa fête le 16 août est encore célébrée en de nombreux lieu et pays. C’est ainsi qu’en Allemagne, les anciennes images de préservation de la peste, contenaient des conseils d’hygiène se terminant par une prière encadrée par les deux figures de saint Roch et saint Sébastien.

     Le plus ancien document concernant saint Roch est un placard qui fut affiché vers 1495 à Paris, qui conviait les fidèles aux cérémonies organisées le 16 août pour la fête du saint à l’église des Carmes,
(près de la place Maubert). Voici le début de cette gravure parisienne avec son texte en vieux français : Aux Carmes de Paris, Bonnes gens, plaise, vous scavoir, que le lendemain de la très glorieuse et digne Assumption de la Vierge Marie, on célébrera la forte et solempnité du très Glorieux Amy de Dieu,
 Monseigneur Saint Roch, vray préservateur de la peste en l’église des Carmes où est la Confrérie du dit Amy de Dieu, Monseigneur Saint Roch.

     Quoi d’étonnant après tout cela, de la représentation dans les vitraux de notre Basilique, parmi les autres saints, de saint Antoine, saint Sébastien, saint Roch, et à l’exemple des images de piété allemande, de trouver aussi dans la première chapelle nord du chœur, dédiée tout spécialement à saint Roch et saint Sébastien, les statues des deux saints placés côte à côte dans les niches de l’autel.

P/S.- Les grands saints invoqués contre la peste sont maintenant sans emploi, puisque, la maladie a disparu en Europe, mais saint Sébastien a connu un dernier retour à l’actualité en 1832 avec le choléra. Un libraire imprimeur de Chartres, édita un cantique spirituel à l’usage des pèlerins de Baignolet, sanctuaire de l’Eure-et-Loir qui conservait des reliques du saint.